Disons-le tout net : ce fut une audience rare. Au départ, une accusation de « menace de mort réitérée », relativement courante dans un tribunal correctionnel. Dans le box, Enrique, 29 ans. Longtemps, sa famille a accueilli des mineurs en difficulté.
Parmi ces derniers, Antoine*, aujourd'hui victime. En 2004, la mère d'Enrique se suicide. Elle laisse une lettre pour expliquer son geste. Depuis, tout ou presque, dans cette affaire n'est qu'une accumulation de rancœurs, secrets de famille, interprétations et non-dits.
Entre Enrique et Antoine, le courant n'est jamais passé, on ignore pourquoi. La semaine dernière, la petite sœur d'Enrique apprend par téléphone à son frère qu'Antoine aurait violé leur petit frère - avec qui Enrique n'est plus en relation. Ce dernier disjoncte et fonce armé d'un couteau chez Antoine. Lui dégrade sa voiture. Alertés, les gendarmes le plaquent au sol. « De toute façon, je sors, je le crève ! », hurle-t-il.
Dans le box, ce Rethélois au physique robuste transpire de détermination. A ses yeux, aucun doute : Antoine est responsable du suicide de sa mère. « Le mal qu'il a fait, il faut bien qu'il le paye », répète-t-il sans ciller. Il n'assume pas les faits qui lui sont reprochés, il les revendique. Un expert évoque chez le prévenu « une détermination inquiétante et vaniteuse ». Jamais aucune plainte n'a été déposée sur ces faits de viols supposés. Comment juger une bombe à retardement ?
« Je sais ce que je risque »
« Mais qu'est ce que vous croyez savoir sur la mort de votre mère ? », demande poliment la présidente. Chez le prévenu, le disque tourne vite en boucle : « Mais pourquoi ma sœur m'aurait menti ? ». « Mais personne ne vous dit qu'elle a menti, peut-être s'est elle trompée ». Et la présidente d'énumérer : « Depuis votre interpellation, il y a eu une enquête. On a interrogé votre frère. Lui dit ne jamais avoir été agressé, il ne se rappelle même plus de cet Antoine. Et votre sœur : quand on lui a raconté ce que vous aviez fait, elle était furieuse contre vous ». Si Enrique consent n'avoir « jamais fait le deuil de sa mère », le roc ne se fend pas : « Mais pourquoi ma sœur m'aurait menti ?
Les magistrats se regardent, incrédules. Les dialogues se succèdent, toujours plus fous :
- Ce que vous croyez n'est pas avéré, monsieur ! Vous n'habitiez plus au domicile familial en 2004 ! Tuer quelqu'un sur une rumeur, vous avez déjà pensé aux conséquences ? A ce que ça pouvait signifier ?
- ça ne changera pas ma détermination. Je sais ce que je risque.
- Perpétuité pour assassinat, voilà ce que vous risquez ! Même si votre sœur dit la vérité, tuer les gens n'a jamais fait revenir les morts ! Et le soulagement de votre haine ne sera qu'éphémère !
- Je vais vérifier ce qu'on m'a dit et après on verra…
- Mais vérifier quoi, monsieur ? Ce n'est pas votre rôle, laissez une chance à la justice de tirer ça au clair ! On est dans un film là ! Vous êtes en dehors de la réalité ! La vie, ce n'est pas comme une BD où on tue les méchants !
- Je vais vérifier…
- Vous voulez aller en détention ?
- Faites votre travail.
- Vous avez des enfants. Le dernier est âgé de deux ans. Accompagner son fils pour son premier jour de maternelle, ça peut être bien, vous savez. Vous avez aussi des responsabilités dans la vie, des gens qui comptent sur vous !
-…
La présidente se décide à abattre son va-tout :
- J'ai lu la lettre qu'a laissée votre mère. Vous, non. Voulez-vous savoir ce qu'elle a écrit ?
- Non.
- Je vais quand même la lire.
- « Mon Enrique chéri, continue à t'occuper de ta famille », écrit-elle. Elle dit aussi qu'elle vous aime et vous demande d'être « plus patient ».
Silence. Enrique, la voix légèrement assourdie par l'émotion, reprend la parole : « Je sais tout ça… Elle m'avait appelé une heure avant de mourir ».
« Zorro »
Le substitut du procureur empoigne son code pénal, fait mine de le tendre vers le prévenu : « Monsieur, tout ça est prévu là-dedans. La justice a les moyens de faire une enquête, de juger. Vous non ! ». Elle hausse le ton : « Il faut rétablir la discussion familiale ». Et demande un an de prison « pour qu'il ait le temps de réfléchir ».
L'avocate de la défense, pourtant récusée par son client, prend la parole. Parle d'un « homme abasourdi » qui « n'a pas compris qu'il ne peut pas tout vérifier ». Fixe Enrique : « La vie d'un homme vaut plus qu'un ''peut-être''. Arrêtez de vous prendre pour Zorro ou vous allez tout perdre ! » Optimiste, elle conclut : « Aujourd'hui, vous l'avez ébranlé dans ses certitudes, madame la présidente. Il n'a jamais été en prison, l'y envoyer ne favoriserait pas une prise de conscience ». Enrique se relève une dernière fois : « On ne m'a jamais appris à mentir ».
Le prévenu est condamné à 10 mois de prison avec mandat de dépôt, obligation de soins, interdiction d'entrer en contact avec la victime et d'aller à Rethel, où celle-ci réside. « Je n'ai pas la garantie qu'on puisse vous faire confiance, semble presque s'excuser la présidente. Il faut amorcer le deuil de votre mère. »
* Le prénom a été changé.
http://www.lunion.presse.fr/article/ardennes/charleville-mezieres-menaces-de-mort-un-si-lourd-secret-de-famille
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