lundi 17 décembre 2012

Nicolas Bonnemaison : « la médecine, c'est ma vie »

Mis en examen au mois d'août 2011 pour empoisonnement sur personnes particulièrement vulnérables, le docteur Nicolas Bonnemaison ignore toujours quel sort la justice pénale lui réservera. Le dossier d'instruction ouvert au tribunal de grande instance de Bayonne ne sera pas clos avant six mois.
Mais avant de répondre éventuellement dans un prétoire des sept cas d'euthanasie active qui lui sont pour l'instant reprochés, l'ancien urgentiste du centre hospitalier de la Côte basque a dû s'expliquer hier à Bordeaux devant ses pairs.

« Ma deuxième maison »
Traduit devant la chambre disciplinaire de l'Ordre régional des médecins d'Aquitaine pour avoir violé la loi Leonetti sur la fin de vie, le généraliste encourt une sanction qui peut aller de l'avertissement à la radiation (1). Âgé de 52 ans, le docteur Bonnemaison porte sa souffrance sur un visage creusé par les tourments et l'inactivité. Le contrôle judiciaire dont il fait l'objet lui interdit toujours d'exercer son métier. « C'est cruel. La médecine, c'est ma vie ; l'hôpital, ma deuxième maison. Cela me manque de façon affreuse. »
Responsable depuis des années de l'unité d'hospitalisation de courte durée rattachée au service des urgences, le médecin a été dénoncé par une aide-soignante, deux infirmières et un cadre de santé de sa propre équipe. Leurs témoignages ont permis de mettre en exergue plusieurs décès suspects de patients en phase terminale (2).
Nicolas Bonnemaison ne nie pas avoir abrégé leur existence en procédant à des injections d'Hypnovel et de Norcuron, deux produits puisés dans la pharmacie de son service. « Alors que les pathologies ne présentaient pas de circonstances exceptionnelles, il a agi de sa propre initiative, sans collégialité et sans prévenir les familles », accuse le docteur Michel Fillol au nom du Conseil national de l'Ordre des médecins.
« Priorité à l'humain »
« Vous allez statuer dans un brouillard absolu », déplore Me Benoît Ducos-Ader, l'un des avocats de l'urgentiste. La chambre disciplinaire doit se prononcer alors qu'elle ignore tout de l'instruction judiciaire en cours, les deux procédures étant indépendantes. « Les dossiers médicaux des patients ont pu être analysés par des experts, souligne Me Arnaud Dupin, le second conseil du médecin. Ils ont constaté qu'il ne restait que quelques heures ou tout au plus une journée à vivre aux personnes décédées. Le docteur Bonnemaison ne s'est pas soucié de la loi, il s'est soucié de ce qui leur restait de dignité humaine. »
Parmi les conseillers qui composent la juridiction disciplinaire, l'un d'entre eux fait grief à Nicolas Bonnemaison de ne pas avoir pris suffisamment de recul. En oxygénant les malades, en leur donnant de l'eau, n'aurait-il pas pu attendre que la nature fasse son œuvre ? Si la loi Leonetti proscrit l'acharnement thérapeutique, elle interdit toujours au médecin de donner la mort. « Quelle hypocrisie, lâche Me Ducos-Ader. Bernard Kouchner a reconnu avoir poussé la seringue. Notre ministre Michèle Delaunay a avoué aussi que cela lui était arrivé. »
La cause de la compassion
Le docteur Nicolas Bonnemaison assume ses actes sans pour autant s'inscrire dans un combat militant. « Je ne revendique pas ce que j'ai fait. Si j'avais une cause à embrasser aujourd'hui, ce serait celle de la compassion pour les mourants. » L'unité d'hospitalisation de courte durée qu'il dirigeait ne ressemblait en rien à ces lieux de fin de vie qui accueillent les patients en longue maladie. Ceux ou celles qu'il a aidés à partir étaient plongés dans le coma, le plus souvent après un accident vasculaire ou une hémorragie brutale. « J'arrivais en fin de course. Quoi qu'on en dise, il s'agissait d'un fonctionnement collégial. Les spécialistes des urgences avaient déjà posé leur avis et préconisé l'abstention thérapeutique. Les familles étaient averties de l'imminence de la mort. »
Le généraliste se souvient notamment de cette grand-mère au cerveau inondé de sang et aux voies respiratoires encombrées. « Elle présentait tous les signes de la mort cérébrale. Elle faisait ses besoins sur elle qui souillaient ses escarres. » Comment réagir devant ces agonies insupportables ? « Après avoir passé un dernier moment avec leur proche, les familles s'en remettaient à lui d'une simple phrase : on ne veut pas qu'elle souffre », insiste son avocat Me Dupin.
En son âme et conscience, et dans la plus totale solitude, le médecin a administré la dernière piqûre. Au risque aujourd'hui de se voir mis au ban de la profession pour avoir agi selon sa propre éthique. « Laissez-moi l'espoir de pouvoir réexercer un jour. Si je ne pouvais plus exercer, ma vie n'aurait plus de sens. » Le docteur Bonnemaison supplie la chambre de discipline d'une voix à peine audible. Mais cela ressemble pourtant à un cri déchirant.
(1) La chambre de discipline a mis sa décision en délibéré. (2) Le docteur Bonnemaison est totalement étranger au premier décès qui a déclenché l'affaire.

http://www.sudouest.fr/2012/12/16/la-medecine-c-est-ma-vie-910985-653.php

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