mardi 11 décembre 2012

Sous curatelle, il vit 11 ans dans un taudis

La situation a duré des années. Personne fragile et isolée, François S. a vécu 11 ans dans un taudis insalubre. Face au silence des élus, des tuteurs et des propriétaires, il a failli y laisser peau. Les pouvoirs publics viennent de se réveiller.
En 2012 dans les Ardennes, le logement peut tuer. Au même titre que le tabac, la route et la maladie. Selon les chiffres officiels, il existe 10 000 logements indécents dans les Ardennes. Soit environ 1 sur 10.
Le cas de François S., révélé par sa compagne et par Laurent Bouvier, conseiller municipal à Aubrives, est consternant à plus d'un titre. La vétusté et la dangerosité de son logement, si tant est que l'on puisse appeler ça un logement, sont aussi révoltantes que la solitude dans laquelle on y a laissé son locataire.
Il prenait sa douche au stade
Situé 6, ruelle Waslet, la maisonnette dans laquelle il a emménagé en juin 2001, est posée sur le terrain de la propriétaire, Françoise Hustin, doyenne du village âgée de 98 ans, dont la famille très pratiquante est bien connue localement. Autant dire que sa maison de maître, « la plus belle du village » comme on dit ici, n'a rien à voir avec les deux espèces de chaumières bâties à 150 mètres de là, où a logé François S. pendant onze ans - et où loge encore une famille avec quatre enfants, dont on n'ose imaginer les conditions de vie.
Le logement de François S. est un manuel d'insalubrité. Tout y est : sur à peine 50 m2 répartis sur deux niveaux, les plafonds pourris d'humidité menacent de s'effondrer ; il fait 14 degrés dans le salon ; le sol n'est pas à niveau et le plafond n'a pas la hauteur réglementaire ; les radiateurs ne fonctionnent pas ; il n'y a aucun système de ventilation ; l'unique fenêtre du rez-de-chaussée est dans un état lamentable ; le terrain en zone inondable charrie les eaux de la Meuse une année sur trois, etc.
Le plus « beau » pour la fin : la chaudière et tout le système de chauffage sont un danger public, et fonctionnent quand ils le veulent. Durant quatre mois, en plein hiver, François S. a dû traverser le village pour aller faire sa toilette dans les vestiaires du terrain de foot local !
Que dire enfin de l'état des remises qui jouxtent son logement, auxquelles l'accès lui a été interdit (comme au jardin du reste), et dans lesquelles des lapins sont élevés depuis cet été, tellement bien d'ailleurs qu'ils sont morts en octobre et que leur cadavre est resté en place durant des jours.
« Un manque d'humanité »
À la vue d'un tel catalogue, on peut se demander pourquoi François S. n'a pas déménagé plus tôt. C'est là tout le côté vicieux de cette triste affaire : François S. a essuyé tellement de refus du propriétaire (en l'occurrence son fils, Michel Hustin) de faire des travaux, tant d'ignorance de la part du maire Gilbert Leclercq, qui ne s'est rendu sur place que le 30 novembre, trois ans après avoir été alerté, tant de silence de la part de son tuteur de l'UDAF (Union départementale des associations familiales), que cet homme sous curatelle renforcée depuis 2004 s'est recroquevillé sur lui-même.
« Pas habitude et par lassitude, j'ai fini par me faire une raison », lâche-t-il. Selon sa compagne, il en est arrivé à « se culpabiliser et s'excuser » et par « ne plus avoir une vision réaliste de ce qu'est un logement conforme ». Bref, cet homme cultivé de 47 ans, en dépression depuis 2004 après avoir perdu coup sur coup son travail*, son argent et ses parents, s'est habitué à vivre dans un taudis. Censé bénéficier d'un régime judiciaire de
protection des majeurs, il s'est marginalisé.

Aujourd'hui, il dit « ignorer où (il) en serai(t) » sans la présence, depuis un an à ses côtés, de deux bons samaritains : Laurent Bouvier, qui en découvrant la situation a critiqué le « manque de considération, pour ne pas dire tout simplement d'humanité, inadmissible de la part du maire ». D'autre part, le soutien infaillible de sa compagne Emma-Béatrice R., ingénieur en Génie civil et professionnelle du bâtiment…
Depuis mai, elle s'est démenée pour que les pouvoirs publics prennent (enfin) la mesure du problème. Le combat a porté ses fruits. L'état d'insalubrité du logement et la mise en danger du locataire ont été reconnus.
Les propriétaires devront payer. Ce n'est que justice : pendant des années, à jour de ses loyers, François S. leur a versé un loyer mensuel de 275 euros, plus des charges exorbitantes de 175 euros. Ayant déménagé mi septembre, après que le chauffage eut été coupé par GDF pour éviter un drame, le locataire a même continué à verser les loyers d'octobre et novembre…
* Ancien opérateur chez Visteon, il a été licencié. Le conseil des prud'hommes lui a donné raison et a condamné l'entreprise pour licenciement abusif.
La situation a duré des années. Personne fragile et isolée, François S. a vécu onze ans dans un taudis insalubre à Aubrives. Face au silence des élus, des tuteurs et des propriétaires, il a failli y laisser sa peau. Les pouvoirs publics viennent de se réveiller.


http://www.lunion.presse.fr/article/ardennes/sous-curatelle-il-vit-11-ans-dans-un-taudis

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