Injures ou humour ? Les juges du tribunal correctionnel de Soissons viennent de trancher. Ce pharmacien de l'hôpital de Soissons a été condamné pour harcèlement moral.
INSULTER régulièrement, quotidiennement, son collègue, son subalterne ou sa chef de service, est-ce nuire à sa dignité ? Est-ce dégrader ses conditions de travail ? Ou est-ce simplement tisser du lien social, par le biais de l'humour ? Un nom d'oiseau comme un sobriquet affectueux… Salut la grosse ! Tout est question de contexte, d'appréciation, de relation entre celui qui ouvre sa bouche et celui qui reçoit le petit mot doux.
Contre-attaque
C'est précisément ce contexte qu'avaient à établir les magistrats du tribunal correctionnel de Soissons pour déterminer si, oui ou non, ce pharmacien du centre hospitalier s'est rendu coupable de harcèlement moral.
Ils viennent de rendre leur décision après avoir mis l'affaire en délibéré. Eux non plus n'ont pas goûté l'humour corrosif dont Monsieur C a fait profiter son service, de mai 2008 à janvier 2010. Ils l'ont condamné à trois mois de prison avec sursis.
C'est une organisation syndicale, la CGT, qui alerte la première l'inspection du travail, il y a cinq ans.
La gendarmerie ouvre une enquête, auditionnant de manière systématique les personnels qui travaillent de près ou de loin avec la pharmacie de l'hôpital tandis que Claude C. est mis à l'écart du service, dans un bureau, en 2009.
Des longs mois d'investigations, il ressort que quatre personnes se plaignent de harcèlement moral véritable. Une seule était présente à l'audience et s'est constitué partie civile pour réclamer l'euro symbolique de dommages et intérêts.
À la barre, le Claude ne se démonte pas. Il y va au culot et contre-attaque. Il remet en cause le diplôme d'infirmière de celle qui ose parler, prétendant avoir fait partie du jury et lui avoir indiqué une erreur de calcul au cours de l'examen. Sans blague ! Pour Me Soulé, l'avocate de l'infirmière, il n'est dès lors pas étonnant qu'elle soit la seule sur les quatre à aller jusqu'au bout de sa démarche : « Cela donne la mesure de la crainte qui pèse sur ces gens-là. »
Invoquant les responsabilités qui lui incombaient dans ce service de la pharmacie du centre hospitalier soissonnais, C.C. a volontiers rejeté la faute sur les victimes et leurs prétendues incompétences.
« Nous avons 18 témoignages »
Appeler une telle « la cocue », telle autre « la vieille » ou encore tel autre « le tordu » (s'agissant d'une personne handicapée), affubler encore un de « grand sifflet, grand con ou grand serin » ou carrément de « connard », expliquer à une autre qu'elle est une « ahurie », une « incapable » parce qu'elle n'est « qu'une femme » ou « une bonne femme » : voilà qui n'était, selon le bonhomme, « nullement dans l'esprit de nuire », a-t-il expliqué aux juges.
« Faire des remarques sur le travail ne caractérise pas le harcèlement moral, lui a rappelé le président du tribunal, c'est la nature des propos qui importe. » Surtout s'ils sont répétés.
L'étaient-ils ? Monsieur C. reste dans le déni, minimise. « Une fois chacun en dix ans… Ce sont des collègues qui ont une mémoire extraordinaire », observe le juge.
« Nous avons 18 témoignages dans le dossier et l'on observe une grande convergence dans la description du comportement de monsieur C., note le vice-procureur De Valroger, c'est un personnage impossible dans le milieu du travail, tout à fait odieux. »
Parmi ces témoignages, certains ont varié au fil des mois et de l'enquête. Me Kamkar, du barreau de Lille, n'a pas manqué de s'en servir : « Il y a un dossier pénal et les interprétations qui en sont faites. Il pose un problème parce qu'il est confus. Vous y avez des éléments contradictoires. »
Me Soulé, du barreau de Compiègne, a son explication : « Ils avaient peur. » Elle rappelle des faits de violence du Claude sur sa chef de service qui avait valu à l'intéressé, « en 2001, un blâme de l'ordre des pharmaciens et un rappel à la loi. Aujourd'hui, il se présente comme responsable de service qu'il n'est pas et les bordées d'injures ne seraient que les manifestations de son humour ».
Cet homme aux chaussettes « Titeuf » était si drôle que le médecin du travail, qui a témoigné à la barre, n'a aucun doute : « Il y a une relation de cause à effet entre la dégradation de la santé des trois personnes que j'ai vues en entretien et ce qui se passait sur leur lieu de travail. » Au service pharmacie, aujourd'hui encore, on en rit… aux larmes.
http://www.lunion.presse.fr/article/aisne/harcelement-moral-a-lhopital-un-pharmacien-condamne
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