Il est presque 21h ce vendredi 24 mars. Réda Kriket s'assoit pour la première fois face à des enquêteurs de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), au sous-sol de l'immeuble ultra-sécurisé de Levallois-Perret. Son arrestation quelques heures plus tôt n'a pas encore été rendue publique. D'entrée de jeu, l'ancien petit voyou devenu un terroriste présumé veut mettre les choses au clair : "Je tiens à préciser que je n'ai rien à voir avec les attentats de Paris et de Bruxelles. Avec l'ADN, vous vous rendrez compte que je n'ai rien à voir avec ces gens-là, les gens qui ont fait les attentats".
Tout au long de ses dix interrogatoires, dont TF1 a pu prendre connaissance, celui qui s'est présenté comme un simple vendeur de "bibelots, de bijoux anciens" sur les marchés bruxellois a multiplié les versions et les contradictions. "Des fois, cela me démange de vous parler", raconte-t-il un moment aux policiers, avant de souvent finir par s'enfermer dans le silence. "Je ne réalise pas ce qu'il se passe", confiera-t-il juste avant d'être incarcéré.
"Un matériel de fou"
Dans la salle d'interrogatoire de la DGSI, le suspect de 34 ans explique avoir loué à la fin de l'été 2015 l'appartement d'Argenteuil, dans le Val-d'Oise, sous un faux nom. Il a payé en liquide la propriétaire des lieux.
Kriket se sait en effet activement recherché (lui préfère se dire "wanted") par la justice belge. La plupart du temps, il se fait passer pour un dénommé Tawfik Alami grâce à un faux passeport belge en sa possession.
"C'est un matériel de fou ce qu'il y avait dans cet appartement", avoue rapidement le suspect. Mais Kriket jure qu'il n'est pas le propriétaire de la quinzaine d'armes automatiques et des nombreux produits explosifs retrouvés. "On m'a donné de l'argent pour prendre l'appartement, pour une année de location. On m'a donné environ sept ou huit mille euros (...) j'étais chargé de trouver un appartement et de le garder, et aussi de garder ce qui était à l'intérieur (...) Je dormais dans cet appartement même si cela me dégoutait avec tout ce qu'il y avait dedans mais j'avais pas le choix car j'étais recherché par la police."
Abu Badr, le commanditaire
Laborieusement, Réda Kriket va tout de même finir par livrer un nom 24 heures après son arrestation. Celui du supposé commanditaire de la livraison de l'impressionnant arsenal : "Il ne parle pas bien le français, il est Maghrébin, il est Libyen, et sa kounia [son nom de guerre] est Abou Badr (...) C'est une personne d'un certain âge, plus âgée que moi, plus de cinquante ans (...) Je l'ai connu par un frère de Belgique (...) Il m'a fait la rokia [un exorcisme]...(...) Il m'avait juste demandé de lui trouver un appartement pour gagner des bonnes actions (...) Je sais que quand les bidons et les produits chimiques sont arrivés, il passait dans l'appartement (...) il était tout le temps avec une deuxième personne, ils se ressemblaient (...)"
Abu Badr, le commanditaire
Laborieusement, Réda Kriket va tout de même finir par livrer un nom 24 heures après son arrestation. Celui du supposé commanditaire de la livraison de l'impressionnant arsenal : "Il ne parle pas bien le français, il est Maghrébin, il est Libyen, et sa kounia [son nom de guerre] est Abou Badr (...) C'est une personne d'un certain âge, plus âgée que moi, plus de cinquante ans (...) Je l'ai connu par un frère de Belgique (...) Il m'a fait la rokia [un exorcisme]...(...) Il m'avait juste demandé de lui trouver un appartement pour gagner des bonnes actions (...) Je sais que quand les bidons et les produits chimiques sont arrivés, il passait dans l'appartement (...) il était tout le temps avec une deuxième personne, ils se ressemblaient (...)"
Réda Kriket assure ne pas connaître la véritable identité de cet homme. Il jure ne pas avoir ses coordonnées. "Il est parti, il est plus là, il est parti en Syrie ou en Irak, cette information est sûre. Il est parti habiter en Syrie faire la Hijra ['l'exil' en arabe] (...) Je sais qu'il est parti, il ne reviendra pas à mon avis (...) Il devait aussi partir de France, lui aussi car c'était chaud pour lui (...) Il ne peut plus nuire en France (...) Je ne sais pas s'il était un cadre de Daesh. Il ne disait pas qu'il fallait tuer des gens".
L'arsenal
L'arsenal
Les explications données par Réda Kriket sur l'impressionnant arsenal découvert à Argenteuil semblent souvent confuses et contradictoires. "Il y a deux bidons d'acide et deux trucs tout prêts, un explosif est arrivé déjà prêt (...) le reste a été confectionné sur place dans l'appartement, c'était en même temps que la livraison des armes."
D'après lui, Abu Badr était le seul à manier les produits chimiques. L'arsenal aurait été entièrement assemblé peu de temps avant les attentats parisiens du 13 novembre dernier. "J'ai fait des recherches sur internet pour du matériel en verre de chimie, de laboratoire, des récipients, pour les acides, des recherches d'adresse" à la demande du mystérieux commanditaire. "Abou Badr ne parlait de rien (...) il me disait de ne pas poser de questions et comme il était d'un certain âge, je n'en posais pas. Il m'a demandé de changer les serrures (...) il ne m'a donné aucune explication (...) Cela ne se fait pas de poser des questions (...) Abou Badr avait un certain charisme et j'ai eu du mal à refuser. A la base, j'ai du mal à refuser".
"J'ai tout fermé"
"J'ai tout fermé"
Réda Kriket expliquera aux hommes et femmes de la DGSI avoir pris peur face à la dangerosité des produits explosifs. "Depuis que je vois des trucs bizarres, les billes, etc... ça pouvait faire des dégâts et être très grave... les armes, j'en ai déjà vues, ce n'est pas le problème... j'étais intéressé par les explosifs car j'étais fasciné par Antonio Ferrara [un voyou français plusieurs fois condamné pour des attaques de fourgons], mais vers septembre-octobre 2015, j'ai vu l'ambiance bizarre (...) j'ai alors récupéré les clefs de l'appartement [auprès d'Abu Badr] (...) quand je dis bizarre, je me suis dis que ce que faisait une personne allait trop loin, on est entraîné et n'ose pas dire 'là on arrête' (...) J'ai tout fermé dans le coffre en attendant de savoir quoi faire".
La cible
La cible
Pendant les 6 jours de garde à vue, les enquêteurs vont poser de très nombreuses questions à Réda Kriket sur sa cible et sur ce qu'il sait de possibles projets d'attentats en France. "Je suis sûr que rien, aucun explosif n'est sorti de cet appartement pour faire une action terroriste (...) Je n'ai rien à avoir avec ce qu'il s'est passé à Bruxelles et à Paris. Rien n'est sorti de l'appartement, et rien n'est prévu selon moi. Rien n'est prévu (...) La finalité pour moi, c'est le banditisme... Beaucoup de choses devaient servir au banditisme (...) La grande majorité des armes viennent d'un vol (...) Tout ce que je sais c'est que la poudre devait servir à faire des détonateurs. Pour le reste, je ne sais pas."
"Des odeurs bizarres"
"Des odeurs bizarres"
Au cours de ses différents interrogatoires, les policiers tentent de comprendre pourquoi Réda Kriket n'a pas cherché à se débarrasser de cet arsenal. "J'ai laissé traîner. Avec ce qu'il s'est passé en France et en Belgique, j'ai laissé traîner et j'ai eu peur de me débarrasser des armes et des produits explosifs. J'ai plus rien touché (...) il fallait tout essuyer, j'ai pratiquement tout touché... Je voulais jeter les petites bouteilles avec les explosifs mais je ne l'ai pas fait... Pour les armes, ce n'est pas si simple... il y a mon ADN partout et je suis collé à cet appartement...(...) Les armes ne se jettent pas. J'ai essayé de jeter les produits liquides mais il y avait des odeurs bizarres".
Au bout de plusieurs jours, Kriket reconnaît que son complice Anis Bahri[interpellé à Rotterdam en fin de semaine dernière] a lui aussi touché les armes et les explosifs : "On a acheté un aspirateur pour aspirer toutes les traces de notre passage. On a traîné, on a traîné."
"On ramène la guitare ?"
"On ramène la guitare ?"
Dans la nuit du 12 mars dernier, les policiers de la DGSI captent discrètement une conversation. Réda Kriket est au volant d'un véhicule utilitaire. Il a quitté quelques heures plus tôt la planque d'Argenteuil, direction Bruxelles. "On ramène la guitare ? Tu as besoin de la guitare toi ?", demandeKriket à son interlocuteur au téléphone, à qui il fixe un rendez-vous. Face aux policiers intrigués et qui cherchent à savoir ce qu'est cette fameuse guitare, le suspect semble embarrassé : "Je parle en codes de fou, je donne peu de détails au téléphone". Puis Réda Kriket semble subitement retrouver la mémoire : "Quand je dis ‘guitare', je veux dire que je dois dormir chez une personne qui m'a une fois montré une guitare". Quelques minutes plus tard, Kriket avoue que cet homme est en fait son complice présumé Rabah Meniker, qui sera arrêté en fin de semaine dernière à Bruxelles. Aucune guitare n'a pour l'heure été saisie en perquisition.
Pas le courage de combattre
Pas le courage de combattre
Aucune preuve matérielle n'existe pour l'heure d'un passage de Reda Kriket en Syrie pour y mener le djihad. Mais son voyage en Turquie de septembre 2014 à janvier 2015 étonne beaucoup les policiers. Le suspect leur explique qu'à son âge, sa place est ici en France : "Je suis parti en Turquie car mon ex-compagne est turque (...) Je me suis occupé d'un chat trouvé sur place, et j'ai soigné mes dents (...) Je n'ai pas combattu en Syrie, je n'ai pas le courage".
"J'aime bien le modèle corse"
"J'aime bien le modèle corse"
Réda Kriket est interrogé plusieurs fois sur sa vision de l'Etat islamique et des djihadistes. "Il y a des gens valeureux parmi eux, et il y a des gens extrémistes (...) je ne cautionne pas les mauvaises choses qui se passent", Kriket restera muet à chaque question posée sur ses liens éventuels avec des djihadistes français et des membres de réseaux terroristes. "Les gens qui ont fait cela en voulaient à l'Etat français mais ils ont tué des innocents", confie-t-il au sujet des attaques du 13 novembre. "Cela m'a fait réfléchir". Il jure plusieurs fois ne pas être membre de Daesh et ne pas préparer d'attentats. "Moi j'aime bien le modèle corse, ils font sauter des choses, des grandes maisons, mais ils ne tuent pas de gens".
5 passeports, 5 Kalachnikov
5 passeports, 5 Kalachnikov
Lors de leur perquisition, les policiers ont découvert 49 photocopies de cartes d'identité françaises et étrangères. Mais aussi 5 passeports français volés. "Je les ai achetés à des clandos de Barbès qui vendent tout. On vend de tout à Barbès", leur répond Réda Kriket.Les enquêteurs -convaincus qu'il était membre d'un commando plus vaste avec ses suspects Anis Bahri, Rabah Meniker et Abderrahmane Ameroud- lui demandent s'il y a un lien entre ces 5 passeports et les 5 Kalachnikov découvertes également dans l'appartement : "C'est vraiment un hasard", jure Kriket, avant d'ajouter qu'il préfère garder le silence.
"J'essaye de ne pas mentir"
"Je suis soumis à Dieu, c'est-à-dire musulman". Réda Kriket se dit en effet pratiquant. Les policiers vont justement l'interroger sur la tuerie de Charlie Hebdo en janvier 2015 : "Ils [les caricaturistes tués par les frères Kouachi] ne pouvaient pas faire des caricatures, mais mourir, c'est une chose. Une bonne raclée peut-être, mais pas mourir".
D'après lui, la France ne permet pas de pratiquer librement l'Islam : "Pas à 100%. On n'a pas le droit d'avoir quatre femmes, mais on a le droit d'avoir 400 amantes (...) Jje me mets un peu de rigueur, de ne pas regarder les femmes, de ne pas dire de gros mots, de ne pas regarder les femmes des autres, de faire mes prières à l'heure (...) J'essaye de ne pas mentir aussi."